Etudes sur des origines de noms

 

L

a langue française comme toute langue vivante s’adapte aux transformations de la société, et au fur et à mesure des années, des mots nouveaux ont été créés ou fabriqués. Nous proposons dans ce texte, de venir étudier deux mots, et non des moindres pour la NORMANDIE, qui sont régulièrement mis à mal : DRAKKAR. et NORMANDIE

Commençons par le mot DRAKKAR

C

e barbarisme français est généralement employé de façon abusive  pour désigner toute embarcation Scandinave de l’époque des grands raids vikings. Contrairement à l’idée couramment répandue, il ne provient pas du mot norrois DREKI4, mais il a été emprunté au début du siècle au suédois moderne DRAKE1, dont le sens premier est « serpent monstrueux, dragon » et qui s’applique également à l’un des vaisseaux de guerre de l’époque viking. Le mot DREKI vient du vieil islandais et il est certainement dérivé du terme latin DRACO et utilisé par association d’idée, car la proue de ces navires de guerre était souvent orné d’une tête de dragon.

Vous vous demandez alors comment étaient appelés les navires des vikings ? Le plus usité dans les divers textes d’alors et qui a été utilisé jusqu’au XIXème est le mot ESNEQUE. Ce mot, de genre féminin puisque l’on doit dire une esnèque ou une senèque, provient du vieil islandais SNEKJUR, pluriel du mot féminin SNEKKJA et qui s’applique à l’un des principaux types de bateau de guerre à l’époque des vikings. On le retrouve aussi en latin : ISNECCHIA (ESNECCAE). On trouve également l’emploi des dérivés SNEKKAR ou SNEKKR. Les Normands que nous sommes, et plus précisément les Dieppois, ont encore en mémoire le naufrage dans les années 1990 du chalutier SNEKKAR NORDIC.

Ce mot esnèque ou senèque, fut utilisé dans la NORMANDIE continentale jusqu’à la « parisianisation » et son effacement par le mot DRAKKAR au XIXèm. En plus de ce mot, il fallait bien désigner les différents navires utilisés et l’on peut trouver dans les textes les désignations suivantes2 :

Une reconstitution d'esnèque Une reconstitution d'un snekkar

Ø       COTRE, en norrois SKUTA, pour un bateau de petite taille,

Ø       LANGSKIP, littéralement long-navire, mot en vieil islandais dérivé du latin NAVIS LONGA et du vieil anglais LANGSCIP,

Ø       TVITØGSESSA, littéralement « vingt bancs ». Les navires de guerre vikings étaient souvent nommés par le nombre de rameurs et fournissaient donc en même temps, la quantité d’hommes embarqués,

Ø       KOGGE, au départ navire marchand, puis utilisation militaire jusqu’au XIIIème (navires dits de SKULDELEV, ROSKILDE),

Ø       HERSKIP, « navire de l’armée » est le plus souvent nommé par une indication relative à sa dimension,

Ø       SKEID, bateau de grandes dimensions. Ce mot a donné le vieil anglais SCEGD,

Ø       KARFI, bateau de servitude locale. Serait rattaché au mot latin carabus d’après Lucien MUSSET1 .

Ø       KNORR, désigne spécifiquement un navire marchand comme ceux de SKULDELEV,

Ø       DREKKI, voir plus haut.

 

Terminons cette étude avec la technique de combat « naval » entre vikings, puisque c’est essentiellement sur mer qu’ils réglaient leurs différents.

Tout d’abord, l’assaillant bloque son ennemi dans un fjord et pénètre de front dans celui-ci. Il est possible que l’assailli ait mis en place un barrage de bateaux coulés (qui font la richesse des archéologues comme à SKULDELEV ou ROSKILDE). Les 2 armées stabilisent leurs lignes en s’ancrant en se fixant les uns les autres. Commence alors la première partie à l’aide d’armes de jet en 2 lignes d’hommes : la première de protection (bouclier) et la 2ème, les lanceurs. Enfin, c’est l’abordage à l’aide de bateaux annexes où le combat d’homme à homme est très brutal. Le principe étant de prendre les bateaux un à un.

Comme vous le constatez, lors d’un combat, les qualités nautiques des navires comptaient assez peu. Chaque flotte était constituée de vingt à quarante navires plus ou moins grands et chaque bateau faisait en général de 15 à 30 bancs, soit environ de 60 à 100 hommes. Quelques grands bateaux apparaissent dans des textes, jusqu’à 60 bancs.

Bateau d'OSEBERG (OSLO) Bateau d'OSEBERG (OSLO) Un des 5 bateaux de SKULDELEV (ROSKILDE)
 

Continuons avec le mot NORMANDIE

Après avoir entendu récemment encore une origine du mot NORMANDIE erronée, il nous est devenu important de rappeler une étymologie plus exacte. En effet, le jeu de mots de Dudon de SAINT-QUENTIN est encore trop souvent cité comme origine : NORD (NORTH - NORD) et de la racine MAN (HOMME) è NORMANDS4, autrement dit, les Hommes du Nord.

Si l’on réfléchit un peu, cet anglicisme ne tient pas, car les vikings et leurs alliés Anglos-normands possédaient déjà des colonies avant de conquérir l’ANGLETERRE via le Duc Guillaume. De plus, le latin étant devenu très tôt la langue de la culture, des échanges et donc, des traités, pourquoi appeler l’ancienne NEUSTRIE - NORMANDIE, à partir de la langue anglaise, donc bien postérieurement aux conquêtes scandinaves ? Pour contourner cet argument, certains lettrés écrivent que les racines NORD et MAN sont empruntées au norrois4. Ces chroniqueurs du XIème siècle se sont souvent appuyés sur les lettrés des couvents normands ayant imaginés de nombreux noms.

Ce constat étant posé, d’où provient ce nom ?

Et bien, il suffit de puiser directement aux maigres sources qui nous restent : les textes des écrivains, qui à partir du VIIIème relatent les aventures vikings, sans oublier les quelques traités et autres textes officiels qui subsistent en langue latine.

Après les invasions normandes et devant la montée en puissance des liens entre tous ces peuples (gaulois, germains, francs, scandinaves,…) un mot est devenu indispensable pour désigner les terres cédées à Rollon, et d’autres, afin de différencier les danois et les norvégiens : la colonie des scandinaves – NORMANNI – en NEUSTRIE est devenue tout naturellement NORMANNIA1. Les danois ont conservé leur appellation de DANI et les suéduois SUEONES, SUENI. Les norvégiens sont d’abords englobés dans un terme général, comme le mot scandinave d’aujourd’hui : NORTMANNIA ; leur nom national ne pouvant être transcrit tel quel – car donnant aussi NORMANNI – la NORVEGE apparaît donc sous le nom de NORWAGENSE ou aussi NORTHGVEGIGENAE1.

On ne peut que vous inciter à utiliser les mots NORDICA et NORMANNICA pour désigner les appellations originelles entre les pays nordiques et les colonies scandinaves, et à faire taire ce jeu de mots de Dudon de SAINT-QUENTIN.

Bibliographie :

1 NORDICA & NORMANNICA – Lucien MUSSET,

2 Histoire des Rois de NORVEGE – Snorri STURLUSSON (traduction FX DILLMANN)

3 L’ Edda – Snorri STURLUSSON (traduction FX DILLMANN)

4 Dictionnaire historique de la langue française (direction d’Alain REY – Le ROBERT)

Et les œuvres de Georges DUMEZIL comme Mythes et Dieux des Germains

Sans oublier les études comparées avec les œuvres de Jean MARKALE, Robert GRAVES (Mythes Celtes), Christian-J. GUYONVARC’H, Françoise LE ROUX, Jean-Pierre LEGUAY.